Tag Archives: J Barnes

Comme si ce livre avait été écrit par 2 personnes

1 Nov

J’avais envie de me plonger dans un univers british, avec ses pubs enfumés, la brume qui rend les paysages mystérieux et ses bières anglaises, tièdes. Je m’étais donc lancé dans la lecture du Pub d’Enfield Road. Dès le début, je me suis retrouvé dans l’univers que je recherchais.

Dans le roman de Rossano Rosi, on suit un professeur de lycée, proche de la retraite, Raymond Raymont qui retourne à Londres et se retrouve dans le pud d’Enfield Road. En fait, il y était venu, à Londres, presque 40 ans plus tôt. Par petites touches, des objets, des coïncidences, il se remémore sa jeunesse, ses rêves, et ce monde d’avant. Dans les meilleures pages, on pense à Julian Barnes, on savoure ce flegme anglais. Avec de belles métaphores, une langue bien tournée.

Puis, les choses changent, le ton aussi. Raymond Raymont est à Londres pour un voyage scolaire et, après cette introspection en solitaire dans le pub, le conducteur de bus le rejoint, puis ses collègues, et finalement les étudiants, apeurés. On se retrouve soudain dans une sorte d’étude sociologique, sorte d’Entre les murs (Bégaudeau), avec les bassesses entre collègues, les préjugés, l’évolution des programmes éducatifs… Il y a aussi un commentaire sur les relations à l’ère des smartphones, chacun face à son téléphone, sauf Raymond Raymont, bien sûr, qui fume la pipe et qui a un livre de poèmes de John Keats dans la poche.

Si j’ai adoré les 50 premières pages, me plongeant dans ce Londres fantasmé, intemporel, le reste du livre m’a profondément ennuyé… Comme s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre. Au début, l’auteur porte une attention particulière aux lieux, décrépis, à la moquette sans couleur, aux menus détails qui couvrent les murs de ce pub anglais, et de l’autre, celui qu’il avait vu il y a plus de quarante ans. Il y a aussi les descriptions des rues, à Londres, mais aussi à Bruxelles, les promenades interminables que l’on fait à l’étranger, lorsqu’on est assoiffé de découvertes… Puis, le deuxième tiers du livre, on se retrouve à écouter les préoccupations des jeunes enseignants, mal dans leur peau, les discussions futiles entre professeurs qui ne s’apprécient guère, et les crises des étudiants hystériques en voyage d’études. Et finalement, la dernière partie, encore autre chose. L’histoire cachée de la femme de Raymond Raymont qui, venant d’une très grande famille, aurait dû être (extrêmement) riche, mais celle-là a préféré dire non à toute cette abondance, le jour de son mariage, pour quelques jours plus tard, rencontrer Raymond Raymont, au antipode de ses conditions de vie, une sorte de raté sans ambition, une sorte de tremplin pour refaire sa vie.

Le problème de ces deux dernières parties, surtout après l’émerveillement de la première, est qu’on n’y croit plus. Les personnages perdent de leurs subtilités pour devenir la caricature d’eux-mêmes. Les situations deviennent à un point invraisemblables qu’on décroche. Et surtout, le lien entre les parties devient si ténu qu’on se demande le pourquoi du comment ? Et, je ne dis rien de la fin. Incompréhensible… et on se dit que c’est bien dommage.

Suite internationale

15 Jan

Je m’étais aperçu que mon champ littéraire se limitait principalement à la littérature américaine, celle des années 1960 à 1980, et française. De retour au Québec, je m’étais remis à la lecture de romans québécois, logique! Pour diversifier mes lectures, je m’étais fixé la contrainte de la suite internationale: c’est-à-dire enchaîner les livres sans jamais retrouver deux auteurs provenant du même pays. J’arrivais toujours à 5 ou 6, mais après, cela devenait plus difficile, j’avais besoin de relire un Carver, un Bukowski, un Fante.

Je viens juste de terminer ma plus longue série, soit 8 auteurs originaires de pays différents.

Angleterre (Barnes); Irlande (Lynch); Québec (Wilhemly); Turquie (Ali); États-Unis (Bukowski); France (Duras); Russie (Tchékhov); Autriche (Musil).

La série s’est arrêtée avec, à nouveau, un livre français, mais quel livre: Ceux qui n’en mènent pas large, de Martinet, fabuleux!

Je me promets néanmoins de retenter le coup et de viser 10 auteurs de pays différents. L’important, la prochaine fois, sera d’être préparé. En fait, pour réussir, il faut avoir des réserves dans sa bibliothèque, car c’est bien parce que ma section de livres non lus est majoritairement américaine et française que je retombe, inévitablement, sur un auteur provenant d’un pays déjà lu. Il faut diversifier sa bibliothèque dit l’assemblée! Et oui, c’est ce que je ferai… entre temps, un Carver, je vous en prie!

Coups de cœur 2015

2 Jan

Une fille, qui danse, JBarnes

L’ombre des forêts, JPMartinet

Les sangs, AWilhemly

La conjuration des imbéciles, JKToole

Ethan Frome, EWharton

 

Une femme, en forêt

17 Nov

Avec le temps, les souvenirs de lecture se confondent souvent les uns avec les autres. Les histoires parfois s’entremêlent, mais le plus souvent, ce sont des ambiances qui se trouvent presque complètement amalgamées. Les sensations de lecture se répètent et s’associent d’un livre à l’autre, sans que l’on puisse bien les distinguer. Évidemment, les éléments de l’histoire restent clairement délimitées, et si l’on pouvait lire ou relire ces livres un à la suite de l’autre, la différence serait clairement marquée, mais dans les souvenirs, les souffles des auteurs se mélangent et parfois s’accordent.

J’éprouve ce sentiment pour trois excellents livres qui par hasard ont tous été écrits par des femmes. Kamouraska d’Anne Hébert, Sarn de Mary Webb et Ethan Frome d’Édith Wharton. On se trouve à chaque fois à la campagne, souvent sous la neige, mais ce n’est pas le point central. La similarité réside dans le fait que ces histoires sont construites autour d’un secret, et que celui-ci est étroitement lié à une histoire d’amour. Vous me direz que Une fille, qui danse, de Barnes, c’est aussi une histoire d’amour et un secret qui nous tiennent en halène. Alors, il faut reconsidérer le fait que ces histoires se déroulent à la campagne: les silences, les grands espaces et la dureté de la vie rurale; les non-dits, les longs déplacements à cheval et les accidents. Dans chacun de ces livres, il y a un événement qui nous coupe le souffle, d’autant plus que pour les protagonistes, ce souffle coupé est maintenu pendant une longue période. Il s’agit bien d’une lente agonie, dont on entrevoit qu’il n’a pas d’issue possible, aucune fuite concevable. Vous me direz Absalon Absalon! de Faulkner.

Alors, je devrais affirmer que le fait que ce soit des femmes qui ait écrit ces livres y soit finalement pour quelque chose. On y retrouve une souffrance silencieuse, où l’héroïne garde enfoui en elle un long cri, qu’elle étouffe tant bien que mal. Ce cri intériorisé, au lieu de se calmer avec les années, prend de l’intensité pour devenir un feu ardant, que l’héroïne tente désespérément de maintenir à l’intérieur, en silence. Au lieu d’évacuer par un geste violent, extérieur, destructeur; l’héroïne prend soin de ce mal comme d’un enfant, le cajole avec douceur, tout en subissant son caractère destructeur.