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Une femme, en forêt

17 Nov

Avec le temps, les souvenirs de lecture se confondent souvent les uns avec les autres. Les histoires parfois s’entremêlent, mais le plus souvent, ce sont des ambiances qui se trouvent presque complètement amalgamées. Les sensations de lecture se répètent et s’associent d’un livre à l’autre, sans que l’on puisse bien les distinguer. Évidemment, les éléments de l’histoire restent clairement délimitées, et si l’on pouvait lire ou relire ces livres un à la suite de l’autre, la différence serait clairement marquée, mais dans les souvenirs, les souffles des auteurs se mélangent et parfois s’accordent.

J’éprouve ce sentiment pour trois excellents livres qui par hasard ont tous été écrits par des femmes. Kamouraska d’Anne Hébert, Sarn de Mary Webb et Ethan Frome d’Édith Wharton. On se trouve à chaque fois à la campagne, souvent sous la neige, mais ce n’est pas le point central. La similarité réside dans le fait que ces histoires sont construites autour d’un secret, et que celui-ci est étroitement lié à une histoire d’amour. Vous me direz que Une fille, qui danse, de Barnes, c’est aussi une histoire d’amour et un secret qui nous tiennent en halène. Alors, il faut reconsidérer le fait que ces histoires se déroulent à la campagne: les silences, les grands espaces et la dureté de la vie rurale; les non-dits, les longs déplacements à cheval et les accidents. Dans chacun de ces livres, il y a un événement qui nous coupe le souffle, d’autant plus que pour les protagonistes, ce souffle coupé est maintenu pendant une longue période. Il s’agit bien d’une lente agonie, dont on entrevoit qu’il n’a pas d’issue possible, aucune fuite concevable. Vous me direz Absalon Absalon! de Faulkner.

Alors, je devrais affirmer que le fait que ce soit des femmes qui ait écrit ces livres y soit finalement pour quelque chose. On y retrouve une souffrance silencieuse, où l’héroïne garde enfoui en elle un long cri, qu’elle étouffe tant bien que mal. Ce cri intériorisé, au lieu de se calmer avec les années, prend de l’intensité pour devenir un feu ardant, que l’héroïne tente désespérément de maintenir à l’intérieur, en silence. Au lieu d’évacuer par un geste violent, extérieur, destructeur; l’héroïne prend soin de ce mal comme d’un enfant, le cajole avec douceur, tout en subissant son caractère destructeur.