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Le meilleur pour la fin

1 Sep

On dit le vin gagne avec l’âge. Certains écrivains aussi. Raymond Carver que l’on connait surtout pour ses nouvelles, a réalisé quelques recueils de nouvelles, dont le dernier volume de la série en publie 3 : Où l’eau s’unit avec l’eau, La vitesse foudroyante du passé et Jusqu’à la cascade. Les deux premiers sont tout à fait remarques ! Je dirais même que certains poèmes déplacent quelques-uns des recueils de nouvelles au second plan dans l’œuvre de Carver, c’est pour dire.

On retrouve une écriture avec une concision encore plus extrême, il ne reste que l’essentiel. Pour les lecteurs du nouvelliste, ce sont des thèmes connus, des histoires où les personnages se déchirent, avec beaucoup d’alcool, de cigarettes, mais à y regarder de plus près, les poèmes les présentent sous un nouvel éclairage. Une sorte de distance ou de retenu. C’est ici que quelques éléments de biographie permettent de saisir ces subtiles transformations. Ces trois recueils sont écrits à la fin de la vie de Carver, lorsque les tracas sont derrières lui. En plus, il a Tess. À ce sujet, Ray Carver me fait beaucoup penser à Tom Waits, chanteur dont les premières années ont été follement remplies, à tel point, que s’ils continuaient dans cette direction, cela aurait pu mal finir. Tant l’un que l’autre, une Tess ou une Kathleen Brennan, leur ont permis de poursuivre la route un peu plus longtemps que prévu et surtout, d’accomplir des choses formidables.

C’est pour cette raison aussi, que le ton change, ils s’approchent même parfois de la mièvrerie, mais connaissant la vie qu’ils ont vécue, ces instants de bonheur ont une autre saveur. Il y a aussi une sorte de mélancolie douce, lorsque l’on sait que l’on ne recevra plus de coup, que nous sommes désormais protégés.

Dans ces 3 recueils, Carver ressasse des histoires que l’on connait déjà, le type qui se trouve dans une maison louée, obligé de partir ou une soirée qui se termine mal, avec la gueule de bois, ou encore les quelques moments paisibles à pêcher, ou, ou, des souvenirs avec son père, son fils, son ex-femme… rien de neuf sous le soleil, mais Carver fait l’effort de les fixer avec une précision encore plus grande, avec une netteté comme s’il savait que ce serait la dernière fois qu’il pourrait raconter ses histoires. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai moins apprécié le 3e recueil – jusqu’à la cascade. Carver se sait malade, il sait que ses jours sont comptés et, par conséquent, écrit pour la postérité, pour Tess qui restera après lui. Il m’a semblé l’exercice un peu forcé, mais pour ceux qui ont lu une bonne partie de son œuvre, le voir écrire/tenir jusqu’au bout, ça l’a quelque chose de touchant.

L’acte d’écrire selon…

15 Oct

Écrire sans cesse fatigue comme le travail de la terre. Robert Walser, La promenade

Écrire, c’est ne jamais trouver. Louis Calaferte, Septentrion

I think you just write. You don’t try to make sens of it. Tom Waits

Pourquoi écrit-on? Parce que le monde fait mal. Parce que les sentiments débordent. C’est une opération difficile que de s’extraire de sa propre misère. Tezer Özlü

Lecture de 12 nouvelles, pas une de plus

15 Mai

On tombe rarement sur Qu’arrivera-t-il au bois sec ? par hasard. Livre épuisé depuis belle lurette, et en plus, difficile à trouver, tellement qu’il faut faire des pieds et des mains pour en trouver un exemplaire. Alors il a nécessairement quelqu’un qui nous en parlé. Dans mon cas, j’ai entendu ce nom lors de la rediffusion d’une émission de radio, qui devait dater de la fin des années 1970, où on demandait à Tom Waits ses influences littéraires. Après avoir nommé Raymond Carver ou Charles Bukowski, le chanteur à la voix rauque sort de son chapeau cet auteur inconnu Breece D’J Pancake.

Dans ce recueil, on retrouve 12 nouvelles remarquables, purement intenses et intensément sincères. Un enchainement de personnages, généralement jeune, qui font une entrée difficile dans la vie adulte. Une question se dessine dans presque chacune de ces nouvelles : comment faire pour se tirer de ce bled perdu ? Presque à chaque fois, le personnage de ces nouvelles cherche un moyen pour prendre la fuite afin d’éviter de terminer comme tout le monde. Très peu y arrive. Rester dans ce patelin, ça veut dire retrouver, jour après jour, les mêmes emmerdes, qui seront partagées avec le même monde. Rien ne prouve que ça ne se reproduira pas ailleurs, mais ça vaut la peine d’essayer.

Une fois que ces camionneur, mécanicien, mineur et j’en passe, comprennent que la fuite sera impossible, et qu’ils devront faire avec ça, cette réalité; on perçoit ceux-là se forger progressivement une carapace, pour se protéger. En d’autres termes, on observe le moment où le cuir de la peau se durcit, et cette opération, ne se fait pas tendrement.
C’est cela qui m’a touché dans les 12 nouvelles de Pancake, cette dureté, à l’os, et ce n’est presque pas une métaphore, comme si on voyait un chien dévorer les os de notre lapin qu’on a aimé. Ça fait mal, et on se dit que pour parvenir à une transcription aussi juste et sincère, Breece Pancake ne l’a certainement pas eue facile. On est triste aussi par le fait qu’il n’ait que ces 12 nouvelles, rien de plus. C’est dommage. On aurait bien aimé qu’il ait pu trouver le moyen de s’échapper, pour en écrire quelques-unes de plus, ou tout simplement pour faire autre chose.