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Lire les 4e de couverture, ou pas?

15 Mai

Certains disent ne jamais lire les 4e de couverture avant de se lancer dans la lecture d’un livre. C’est peut-être ce que j’aurais dû faire avec Un livre de sable. Il était écrit un mélange entre Bukowski, Fante, Steinbeck et Caldwell, rien de moins ! Ce qui a fait que mes attentes étaient très, très élevées. J’y voyais déjà ma lecture de l’année… et peut-être même plus. Par ailleurs, Livre de sable est publié par la génialissime maison d’éditions MonsieurToussaintLouverture, sous sa collection « les grands animaux », je m’attendais déjà d’y voir de drôles d’oiseaux, comme dans le livre de Ken Kesey, Et quelques fois j’ai comme une grande idée. Ça promettait.

Avec des attentes si hautes, je peux dire qu’il était presque normal que j’en fut déçu. Cet aguichage en ai certainement pour quelque chose, je m’attendais d’y voir la concision-percussion de Bukowski, ou l’humour de Caldwell, ou de Fante. C’est vrai que dans les premières cent pages, le bonhomme MacDeramid, le grand père de Jack est plutôt un drôle d’oiseau, il n’a pas la langue dans sa poche, ne ratant jamais une occasion de dire le fond de sa pensée. Mais, le grand-père, on le perd de vue assez tôt. Le personnage qu’on suit, c’est Jacky, dont la mère revient le chercher, pour l’amener avec son Bill, ex-taulard, plutôt sympathique, mais qui perd la boule, le contrôle, et ses petits boulots lorsqu’il boit de l’alcool frelaté jusqu’à tomber dans le coma éthylique. C’est peut-être le même contexte que dans les bouquins de Bukowski, alcool, chambre à 2$ la semaine, et surtout le sexe qui est omniprésent dans les pensées de Jacky, en pleine découverte des plaisirs de la chair.

En fait, ces références-allusions ne sont pas complètement fausses, mais elles nous mettent sur une fausse piste. C’est autre chose, ce livre.

C’est un grand roman fort et triste… et qu’on avale parfois de travers. En suivant l’enfance de Jacky, de la conception à ses 15 ans, on peut vite être vieux lorsqu’on a la vie dure à ce point là, sans aucune échappée possible, lorsque nos repères sont plutôt instables, branlants, et très peu fiables. Comme Jack se le dit à lui-même, j’ai peur de ne pas grandir, mais de seulement vieillir. Il n’a pas la jeunesse facile Jack, elle lui rentre carrément dedans. C’est difficile à vivre, et parfois difficile à lire. Pas tellement au niveau du style, même s’il a des « relâchements », un peu de papotage et quelques digressions, mais dans ce que le petit subi, dans ce que la vie lui offre. Ça commence tôt, avec ses grand-parents qui, peu après avoir perdu leur maison, leur ferme et leurs terres sous la grande dépression des années 30, se trouvent à enchainer les boulots et passent d’un appartement à une chambre à une véranda à une cave…jusqu’à ce que sa maman vienne le récupérer, et là, Jack se dit, enfin, me voilà sauvé !

Ce n’est pas long que toutes ses illusions l’abandonnent… pour ne jamais revenir. La vie en cavale avec sa mère et son Bill sera une série d’échecs et de ratages qui finiront par détruire le peu d’espoirs et d’illusion qui restaient à sa mère et à son beau-père. Jack, lui, semble au-dessus deçà. Il n’a jamais connu autre chose, de toute façon. Mais sa mère et l’autre, ils y croient presque à chaque fois. Une petite maison, avec un petit boulot, pas d’ennui, tranquille «je ne demande pas la lune! » répète sa mère à chaque fois que ça dérape et qu’ils se trouvent obligé de remplir en 4e vitesse leur valise en carton. C’est à force de bouger d’une place à l’autre et de tout recommencer que les genoux flanches et que les choses dérapent pour de bon. Ça commence avec un peu d’alcool frelaté, puis beaucoup plus, jusqu’à ne pas savoir ce qu’on fait, à se trouver encore plus dans la dèche qu’avant… il a beaucoup de coups aussi… ça ouvre la porte à tous les excès…

J’ai cru comprendre que Tattoo d’Earl Thompson était la suite des péripéties du petit Jack, une fois arrivé à 15 ans… il est à parier que ça ne sera pas reluisant, mais j’ai bien envie de lire ce qu’il lui arrive à ce petit gamin, qui n’a déjà plus toutes ses dents.

Lecture par grand froid

1 Mai

C’était pendant la période de grand froid. Cet hiver. Je n’arrivais pas à chauffer mon petit appartement, même avec un vieux pled sur les genoux, pas moyen de se réchauffer. Un p’tit verre de whisky, le livre de McGuire Dans les eaux du Grand Nord, et me v’là parti à l’aventure, embarqué sur un bateau avec une bande d’individus pas très sympathiques, c’est le moins qu’on puisse dire.

Pour me réchauffer, j’avais aussi Garlic, mon vieux chat qui a tellement mal partout, qu’il ne bouge presque plus. Je l’ai installé sur mes genoux, il a geint un coup, mais après, il s’est endormi sur moi, une boule de chaleur sur le ventre. C’est grâce à ces conditions particulières que je garde un assez bon souvenir du livre de McGuire. Mais à y regarder de plus près, je suis plutôt partagé sur Dans les eaux du Grand Nord. J’ai certes passé un bon moment de lecture, mais à y regarder de plus près, de nombreuses petites choses m’ont irrité. Si, pendant la lecture, ces désagréments ont été absorbé par le rythme soutenu sur une bonne partie du roman, je dois dire qu’ une fois arrivé au bout, j’ai trouvé que l’écrivain était confiant par rapport à la crédulité de ses lecteurs.

Le récit est construit principalement autour du chirurgien Sumner qui, embarqué sur le Volunteer, subira une série de mésaventures, plus terribles les unes que les autres. D’abord sur le bateau, mais pas seulement, car celui-ci ne prendra pas énormément de temps avant de couler, et ensuite, Sumner tentera de sauver sa peau sur la banquise, et ensuite sera repêché par un groupe d’inuits, pour finalement retrouver la terre ferme. Au travers de cette épopée, l’ancien chirurgien se remémore des mauvais souvenirs de la guerre, il est le spectateur privilégié de violences atroces et tout ça, dans un froid glacial. C’est d’ailleurs la sensation que j’ai ressenti tout le long du roman. Il faisait peut-être froid dans mon petit appartement, mais n’empêche, ce roman m’a rappelé les cahiers retrouvés du célèbre explorateur Robert Falcon Scott: le froid qui vous prend au corps, la faim qui vous fait halluciner dans ces lieux polaires, le vent qui vous glace les os, la fatigue qui vous rend méfiant de vos voisins, la peur qui vous empêche de dormir. Vous n’espérez qu’une chose, vous mettre en boule et que tout ça se termine.

C’est sur ce point que je trouve le roman le plus réussi, sinon il est vrai que d’autres points sont limites, surtout celui de la violence. Si on a compris que McGuire veut dessiner des « durs à cuire », les procédés sont parfois trop appuyés. Pour une bonne partie du temps, ça fonctionne, dépecer une baleine, la vie sur le bateau, le bruit des machines, des odeurs qui vous donnent (réellement) l’envie de vomir, il n’a pas à dire, McGuire s’y connait pour nous tenir en haleine. C’est pour cette raison, que plusieurs actions ne posent pas problème, même si après lecture, on se dit que c’est pousser un peu loin le bouchon. Tenir 3heures (ou 13) le corps dans l’eau glaciale et s’en sortir vivant, c’est un peu fort de café. On a aussi compris qu’Henry Drax c’est le mal incarné en personne, mais parfois la crédibilité du personnage en prend pour son grade. Les doses sont parfois trop généreuses. Surtout lorsqu’on compare avec les grands qui parviennent à créer des personnages plus grands que nature sans forcer le trait. À ce sujet, j’avais lu il y a quelques mois le Et quelque fois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, et il est possible de faire un personnage monumental – Henry Stampers – sans tomber dans la surenchère. Il y aussi les Snopes de Faulkner.

Je dirais pour terminer que j’ai eu le sentiment de regarder une (bonne) série télé. Même si je n’en regarde jamais, je sais en revanche qu’il en a des sacrément bonnes, et que vous pouvez regarder une saison complète en un weekend. En revanche, ce que je ne supporte pas avec les séries, c’est le rythme effréné, un événement à la minute, il faut avoir un calepin pour garder le fils, et ensuite, les exagérations qui, même si elles sont à petites doses; elles sont déposées ici et là pour être certain que l’on comprenne bien ce qui se passe, et qui est le bon et qui est le méchant. Le bon, pas si bon et le méchant, plus méchant qu’on peut l’imaginer… bien sûr.

Coups de cœur 2017

1 Jan

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, K Kesey

Qu’arrivera-t-il au bois sec ? B DJ Pancake

L’avalée des avalés, R Ducharme

Lettre à D., A Gorz

La vie hors du temps, T Özlü

Il me les faut!

1 Oct

Baudrillard disait dans son système des objets : «… c’est moins le livre qui compte que l’instant où il est rangé près des autres sur le rayon de la bibliothèque.»

Je ressens parfois ce sentiment: Acheter frénétiquement des livres, plus que je peux en lire. Cela m’arrive à des fréquences plus ou moins grandes. Je me retrouve à passer mes journées à éplucher les sites Internet de livres d’occasion à la recherche de quelques livres. En boucle. Quelques pages abimées, rayures sur la couverture, dos jaunie, etc. J’hésite. 7,5 euros frais de livraison… supprimer mon panier! Quoi faire… J’hésite encore. Passer la commande, oui, svp!

En ce moment, mon obsession se porte sur quelques titres. Je ne parlerai ici que des auteurs que je n’ai jamais lu, car si je dois parler des auteurs que j’aime, la liste serait longue. Un petit Mcguane, pourquoi pas 33°C à l’ombre, quel titre, ou Une lampe, le soir (Caldwell) avec sa couverture rouge de chez Grasset, et Buko, et…! Alors, voici cette liste réduite:

Trente à quarante, d’Henri Calet. Ça fait plusieurs fois que j’entends parler de cet auteur, mais je ne savais pas par quel livre commencer. Le tout sur le tout vient d’être republier. Calet à la cote. Pourquoi mon choix s’est arrêté sur Trente à quarante ? Très simple, en lisant la correspondance de Jean-Pierre Martinet, j’ai lu que ce grand écrivain avait trouvé le roman 30 à 40 fabuleux. Mais toujours des questions: Version de 1947, éditions de minuit, ou la version de 1991 de mercure de France?

Tôt ce matin, de Pedro Mairal. Après avoir déposé un commentaire sur le site babelio de ma lecture de Breece DJ Pancake, je me suis trouvé redirigé vers une liste « petits bijoux littéraires ». Cette liste souhaitait présenter quelques excellents livres, bijoux,  mais restés méconnus d’un large public. Mairal faisait parti de la liste (liste de 33 livres). Pourquoi celui-la? La couverture. Un bus sur une route qui semble mener nulle part. Des nouvelles par-dessus le marché. L’Argentine.

Manuel à l’usage des femmes de ménage, de Lucia Berlin. Encensé lors d’une émission littéraire par une critique dont j’apprécie à chaque fois ses recommandations, ce livre de nouvelles me hante avec sa jaquette rouge et blanche. Lavable à la machine 40°. Et si c’était un aussi grand livre qu’on le dit! Un incontournable. Et si j’attends aussi longtemps avant de lire, est-ce que la lecture en sera meilleure ?

C’est une étrange sensation d’introduire un nouvel auteur dans sa bibliothèque. Peut-être qu’il se retrouvera esseulé, ou peut-être qui prendra de plus en plus d’importance. Pas seulement parce que je pourrai acheter plusieurs livres de cet auteur, comme Calaferte, que j’ai découvert récemment, mais un nouvel auteur peut aussi créer de nouvel orientation dans notre bibliothèque, parfois avec un seul livre. Comme par exemple, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, Ken Kesey. Un seul livre (car je ne crois pas que je lirai Vol au dessus… pas après avoir vu le film), peut devenir un point central. Il suffit de le regarder pour se rappeler cette famille Stamper, les grumes qui flottent, Viv qui regarde par la fenêtre…

Lecture d’un grand livre, immense livre même

15 Sep

Et quelque fois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey. Un grand livre par sa taille, 894 pages, mais surtout par ce qu’il raconte, son style, son humour et son humanité : un chef d’œuvre, tout simplement.

Publié chez la fabuleuse maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture, ce pavé est à couper le souffle. Comme le dit l’éditeur Dominique Bordes, ce livre est grandiose, mais « ce n’est pas un texte qui est facile d’accès au début, il est même exigent…» C’est le moins que l’on puisse dire, car les premières pages sont carrément ardues. À la fois par le style, l’histoire et l’ambition. Dès les premières pages, on s’aperçoit de la très haute ambition que Kesey s’est donnée pour son texte. Un livre total, un livre monde. Ça commence avec l’histoire d’une grève, de syndicats, et de bucherons. Le procédé fait que l’on passe d’un personnage à l’autre, on est dans la tête d’un type, on comprend ce qu’il pense ou à quoi ça lui fait penser, on passe à un autre (parfois entre parenthèses, en italique ou en italique et entre parenthèses! et les MAJUSCULES, j’allais oublier les majuscules), et ainsi de suite. Cette intention de comprendre la réalité dans sa totalité fait, qu’au début, c’est lourd et on se demande si l’on va tenir le coup et se rendre au bout des 894 pages.

Et d’un coup, ce procédé complexe n’est plus le centre de notre attention. À la page 165 (environ), l’histoire se déplace sur Lee et son demi-frère Hank. Lee habite la côte Est et est un universitaire amoureux de Shakespeare. Les choses s’embrouillent lorsque sa mère saute par la fenêtre. Lee décide alors de retourner dans l’Oregon, voir Hank, le paternel (qu’on surnomme l’ancêtre) et toute la troupe de joyeux lurons. Il y va pour prendre sa revanche sur ce demi-frère qui l’a toujours martyrisé, de son point de vue. C’est d’ailleurs à ce moment que le procédé compliqué devient fabuleux. Non pas seulement parce qu’on comprend ce que chacun pense de l’autre, mais pour voir les dilemmes internes qui se passent chez les personnes, le décalage entre ce qu’ils disent et ce qu’ils pensent vraiment. Lee vient prendre sa revanche, mais se trouve à plusieurs reprises envahi de nostalgie. En plus, c’est très drôle. Le vieux paternel, Henry Stamper, raconte des histoires sans queue ni tête, le frérot trouve la bagarre sans la chercher, la femme du frérot, Viv, une fée dans ce monde cruel, et l’oncle Ben beau comme un dieu mais qui a préféré se défigurer, le visage coupé au couteau, avec le radio dans le cou et un autre et j’en passe…

Au 2/3 du roman, une fois que l’on est bien accroché à cette famille, au travail dur avec les grumes, la pluie de l’ouest, l’auteur ré-ouvre la focale pour retrouver la petite communauté en grève qui en veut en mort à Hank et son clan. Les histoires s’entremêlent et la tension monte en crescendo jusqu’à la fin. Pour faire référence à la mer, à l’eau, à la pluie qui ne cesse de tomber, on pourrait dire que l’on a affaire, d’abord à une mer relativement calme, il fait presque soleil, on a presque envie de s’y baigner. Ensuite, la pluie, la pluie tombe, le niveau de la mer monte, pas beaucoup à la fois, mais sans s’arrêter, jusqu’à ce que ça devienne inquiétant. Le vent s’en mêle. La pluie se transforme en tempête. Les flots se déchainent. Les montagnes d’eau se déversent, détruisant tout sur le passage. Et, bien, il faut imaginer cela, avec deux bucherons dessus, dansant en équilibre sur les grumes.

À la fin de la lecture de ce roman exceptionnel, on a juste une envie, le reprendre du début. Ce que j’ai d’ailleurs fait, j’ai relu les 60 premières pages, d’une traite et j’ai hésité à le relire en entier tellement cette histoire de bucherons et de familles et de rivalités et du petit village perdu au milieu de nulle part m’a touché. Il y a quelque chose d’immense dans Et quelque fois j’ai comme une grande idée, par la taille, on l’a dit (ce qui, par ailleurs offre quelques semaines de lecture très intenses), mais surtout par ce chef-d’oeuvre hors norme. Certainement un sommet de la littérature.